Accès à l’information scientifique : pratiques et défis des doctorants médecins burkinabés

La difficulté d’accès à l’information scientifique est l’une des caractéristiques de la science africaine. Conséquence du sous-financement de la recherche, les bibliothèques universitaires en Afrique ont rarement de quoi céder aux prix exorbitants des grandes revues qui ne proposent plus leurs offres qu’en bouquet¹. Le retard de l’édition électronique, la fracture numérique et scientifique, la barrière linguistique, couplés aux difficultés de circulation des revues papiers, font que l’information scientifique est une denrée rare pour les chercheurs en Afrique, surtout pour les débutants.

J’ai récemment lu la thèse de Dr Zoé Aubierge Ouangré² sur le comportement dans la recherche d’information des doctorants en Médecine au Burkina Faso³. On pourrait cependant extrapoler ces résultats, à l’Afrique subsaharienne francophone. 

De cette lecture, je dégage quelques points :

1. Outils et sources d’information

Les étudiants en médecine au Burkina Faso font face à des défis importants en matière de recherche et d’accès à l’information, qui sont fortement influencés par des contraintes économiques. En raison de ressources limitées, ces étudiants privilégient les outils et sources d’information gratuits et facilement accessibles. 

Les bases de données en accès libre et les moteurs de recherche tels que PubMed et Google Scholar sont des choix populaires. De plus, les thèses, les livres, et l’Encyclopédie Médico-chirurgicale sont des ressources imprimées essentielles, tandis que les revues savantes en libre accès via des plateformes comme Hinari⁴ sont largement utilisées quant aux sources numériques.

Il faut noter que la gratuité des ressources consultées est cruciale pour ces étudiants, car les contraintes financières ne permettent pas d’acheter les ressources. Cette situation est exacerbée par l’instabilité de la connexion Internet et les ressources limitées des bibliothèques universitaires, qui constituent des barrières ”environnementales” importantes. 

Étonnamment cependant, l’étude révèle que les étudiants ne connaissent souvent pas ou n’utilisent pas les bibliothèques pirates ou “shadow libraries” comme source d’information gratuite, même si la question ne leur a pas été posée directement.

En outre, le soutien des collègues, des aînés, et des directeurs de thèse joue un rôle vital en fournissant des conseils et un soutien moral, soulignant par ailleurs l’importance des réseaux personnels dans le processus de recherche de l’information.

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2. Barrière linguistique

La documentation scientifique en français est un enjeu crucial pour les jeunes chercheurs. La prédominance de l’anglais dans les publications scientifiques internationales crée une barrière linguistique significative, marginalisant ainsi les chercheurs et étudiants francophones. Cette situation les oblige souvent à consulter des articles en anglais, ce qui représente un défi pour ceux qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue. La nécessité de traduire ces documents engendre une charge de travail supplémentaire et peut nuire à la compréhension des concepts scientifiques, d’autant plus que la traduction automatique ne garantit pas toujours une restitution fidèle du sens original, surtout dans un domaine où l’approximation ne peut être tolérée. 

Le manque de documentation en français limite également la portée des recherches des étudiants, car l’accès à des études réalisées dans des contextes linguistiques et culturels similaires est essentiel pour comparer les résultats et en tirer des conclusions pertinentes. Cette dépendance envers la documentation anglophone contraint les étudiants à se familiariser avec la terminologie médicale en anglais, créant une dissonance avec la pratique clinique au Burkina Faso, un pays francophone. Ce problème dépasse les frontières du Burkina Faso et affecte l’ensemble des pays francophones, soulignant l’importance de valoriser la langue française dans la recherche scientifique et d’encourager la production et la diffusion de connaissances en français pour garantir un accès équitable à l’information pour tous les étudiants.

3. La fracture numérique & scientifique*⁵

Le coût élevé des articles scientifiques et de la connexion Internet constitue un obstacle financier majeur évoqué par les étudiants. La connexion Internet, essentielle pour accéder aux bases de données, est onéreuse et limitée par des forfaits coûteux et des restrictions de téléchargement.

Les barrières environnementales exacerbent ces difficultés. Les délestages électriques fréquents perturbent l’accès à Internet et l’utilisation des ordinateurs, rendant la recherche d’information encore plus ardue.

En outre, les bibliothèques universitaires souffrent d’un manque de ressources, tant imprimées que numériques, et d’un personnel qualifié pour accompagner les étudiants. Ce manque de soutien et de ressources récentes entrave la capacité des étudiants à exploiter pleinement les informations disponibles.

4. Résilience et stratégies de contournement

Face aux barrières évoquées, les étudiants développent des stratégies de contournement telles que le partage informel de documents entre pairs, l’utilisation de plateformes en ligne offrant un accès gratuit ou à moindre coût, et la participation à des réseaux de chercheurs qui échangent des articles via des canaux non conventionnels.

• Privilégier les ressources gratuites : comme déjà évoqué, face au coût élevé des articles, les étudiants se tournent en priorité vers les ressources gratuites disponibles en ligne. 
• Tirer parti des réseaux et de la collaboration : les étudiants s’appuient sur leur réseau pour obtenir des articles payants. Ils sollicitent leurs collègues, leurs aînés, leurs directeurs de thèse et même des membres de leur famille qui pourraient avoir accès à ces articles par le biais d’abonnements institutionnels.
• S’inscrire à des forums de partage : certains étudiants s’inscrivent à des forums en ligne où des étudiants en médecine, notamment des étudiants maghrébins, partagent gratuitement des documents, contournant ainsi les frais d’abonnement ou d’achat.
• Contacter directement les auteurs : certains étudiants n’hésitent pas à contacter directement les auteurs d’articles qui les intéressent pour leur demander une copie de leur publication. Cette stratégie, bien que son taux de succès ne soit pas mentionné, témoigne de la détermination des étudiants à accéder à l’information malgré les obstacles financiers.
• Retirer les références inaccessibles : et lorsque les étudiants ne parviennent pas à accéder à un article payant, certains choisissent de le retirer de leur liste de références bibliographiques, quand bien même cette ressource est pertinente pour leur recherche. Cette pratique, bien qu’elle ne soit pas idéale, illustre les décisions difficiles que les étudiants doivent prendre face aux difficultés d’accès aux ressources.

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5. Hinari : l’espoir

Hinari, un programme de l’Organisation mondiale de la santé, joue un rôle important dans la réduction de ces obstacles en offrant un accès gratuit à une collection de revues scientifiques et médicales aux institutions des pays à faible revenu. Pour les étudiants burkinabè, cela représente une opportunité d ‘accéder à des publications des grandes revues qui seraient autrement inaccessibles en raison de leur coût élevé. 

Malgré les critiques formulées à l’encontre de Hinari⁶, l’initiative est particulièrement appréciée par les étudiants en médecine de l’Université Joseph Ki-Zerbo, où il est l’une des bases de données les plus utilisées aux côtés de PubMed et Google Scholar. La gratuité d’accès, combinée à la qualité et à la pertinence des articles disponibles, explique sa popularité.

6. Sortir de l’impasse

Pour sortir de l’impasse, les étudiants proposent plusieurs solutions pour améliorer leur situation. Ils soulignent la nécessité de moderniser les infrastructures technologiques avec une connexion Internet fiable et des équipements informatiques performants. La numérisation des collections universitaires et l’enrichissement des ressources numériques par l’abonnement à des revues scientifiques sont également des priorités, leur permettant d’accéder à une information diversifiée et à jour.

En outre, les étudiants reconnaissent l’importance de développer leurs compétences informationnelles dès le début de leur cursus médical, pour naviguer efficacement dans le monde numérique. Ils suggèrent également que les bibliothécaires jouent un rôle plus actif dans l’accompagnement des étudiants, ce qui nécessite des formations pour améliorer leurs compétences en recherche documentaire. 

Enfin, l’accès libre aux publications scientifiques est encouragé pour surmonter les barrières financières, une initiative qui pourrait être soutenue par les autorités universitaires et les organismes subventionnaires.

Ces propositions visent à créer un environnement d’apprentissage numérique plus équitable et performant, essentiel pour la réussite académique et la future contribution des étudiants en médecine à la recherche médicale au Burkina Faso. La mise en œuvre de ces recommandations pourrait transformer les défis actuels en opportunités, renforçant ainsi la capacité des jeunes chercheurs à contribuer au développement scientifique du pays.

1. Chartron, G. (2010). Future scenarios for science publishing. Hermes, La Revue, 57(2), 123‑129. [↩]
2. https://orcid.org/0000-0002-4596-1601 [↩]
3. Ouangré, Z. A. (2020). Le comportement dans la recherche d’information des étudiants au doctorat en médecine au Burkina Faso https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/23397/Ouangre_Zoe_2019_these.pdf?sequence=4&isAllowed=y [↩]
4. HINARI, ou “Health InterNetwork Access to Research Initiative,” est un programme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui offre un accès gratuit ou à faible coût à des revues scientifiques dans le domaine de la santé. Destiné aux pays en développement, il permet aux établissements de santé et aux institutions à but non lucratif d’accéder à près de 5 500 périodiques. [↩]
5. Mve Ondo*, B. (2007). La fracture scientifique. Présence Africaine, (1), 585-588. [↩]
6. Qui sait ? Le libre accès en Afrique et en Haïti https://laviedesidees.fr/Qui-sait.html [↩]

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